Pauvreté des sources profanes
Pour se faire une idée du Jésus historique, il faudrait d'abord chercher nos renseignements dans la littérature profane contemporaine des faits allégués, puisqu'elle seule n'est pas a priori altérée par des considérations religieuses. Mais les textes qu'on nous propose sont problématiques.
1) Carence des témoignages païens
Eusèbe a fait justice des Procès-verbaux de Pilate, dont se targue Tertullien. Nous ne possédons aucun acte officiel des autorités romaines se rapportant à Jésus.
Les auteurs du Ier siècle ne sont guère plus loquaces :
- Pline l'Ancien (23-79) ne souffle mot de Jésus ni d'une communauté chrétienne de Jérusalem, alors qu'il visite la Palestine trente ans après les événements supposés et qu'il prend soin de noter la présence des esséniens;
- même silence chez Perse (34-62), chez Martial (40-104), chez Sénèque (-4-65) bien qu'on ait fabriqué de toutes pièces une correspondance entre ce philosophe et St Paul ;
Les témoignages du IIe siècle nous sont d'une très faible utilité :
- Tacite (55-120), dans un texte de ses Annales, composé vers 115, aurait raconté la persécution des chrétiens de Rome par l'empereur Néron. Celui-ci les aurait accusé d'avoir allumé l'incendie qui ravagea la Ville en l'an 64. Tacite est censé avoir précisé que le nom de ces chrétiens " leur venait de Christ qui sous Tibère, fut livré au supplice par le procureur Ponce Pilate ". Mais, comme l'ont prouvé les historiens critiques, ce pseudo-témoignage est une interpolation;
- Pline le Jeune (62-114), gouverneur de Bythinie, demande à son ami l'empereur Trajan en 112 " comment il convient de se conduire à l'égard des chrétiens ". Mais il ne nous apprend rien sur l'existence de Jésus. Tout juste signale-t-il l'existence d'une communauté chrétienne au début du IIe siècle, mais l'on ne prouve pas l'historicité d'un dieu par la croyance de ses fidèles, sinon il faudrait croire à celle d'Hercule, de Marduk, d'Apollon, d'Asclépios dont les anciens vénéraient les tombeaux, respectivement à Cadix, Babylone, Delphes, Épidaure...;
- Suétone (69-125), dans sa Vie de Claude, écrit que l'empereur " chassa de Rome les juifs qui s'agitaient sans répit à l'instigation de Chrestus ". L'opération se passe en 50 - or l'on fait mourir Jésus aux alentours de l'an 30. De plus, Christos et Chrestos sont deux mots différents, l'un signifiant " l'oint " (désignant une personne consacrée), l'autre se traduisant par " le bon " et faisant parfois office de nom propre (le préfet du prétoire Ulpien avait un adjoint qui portait ce nom, par exemple). On ne tire pas grand chose de tels passages.
- les autres auteurs païens, comme Plutarque (46-120) ou Juvénal (60-140), sont d'un silence imperturbable sur la personne de Jésus.
2) Carence des témoignages juifs
Carence d'autant plus surprenante que Jésus doit avoir vécu parmi ce peuple et qu'il est l'un des siens.
- Aucune allusion dans Philon d'Alexandrie (-13-54), qui a écrit plus de cinquante traités, dont une Ère de Pilate, et dont la philosophie du Logos ressemble à s'y méprendre à celle des anciens chrétiens;
-Rien dans l'Histoire des Juifs de Juste de Tibériade, au nom qui rappelle sa Galilée natale, où il a vécu et combattu les Romains;
- Peut-on faire mention du témoignage de Flavius Josèphe (38-94)? Dans ses Antiquités judaïques, on a cru trouver un passage significatif où l'historien évoque en Jésus " un homme sage, si toutefois il est permis de l'appeler un homme ", qui " était le Messie ". Il est aujourd'hui établi que ce passage est une forgerie chrétienne que ce juif pharisaïque n'aurait pu écrire sans aussitôt " courir au baptême ". Origène (185-354) assure que Josèphe " n'a pas montré que Jésus est le Christ " : l'ajout a donc été effectué par la suite;
- Le prétendu témoignage du Talmud est inconsistant. Le recueil a été composé trop tard pour qu'on lui accorde créance. La légende du soldat romain Panthera et de la " prostituée juive " Marie, reprise plus tard par le païen Celse, n'est visiblement qu'une caricature des Évangiles et un morceau de polémique antichrétienne.
Que conclure du silence abyssal des auteurs profanes? Il nous permet dans un premier temps d'apprécier à leur juste valeur les allégations des apologistes traditionalistes, dont certains ne craignent pas d'écrire qu' " il n'est guère de ses contemporains (à Jésus), même illustres, sur lesquels nous soyons aussi bien renseignés " (Raffard de Brienne)! Au mieux, nous pouvons accorder que ces textes, lorsqu'ils n'ont pas été remaniés, nous narrent les débuts des premières communautés chrétiennes, dans le premier quart du IIe siècle. Ce dont personne n'avait douté, puisqu'il faut un début à tout...
Quant à la vie de Jésus proprement dite, à son enseignement, à sa mort sur la croix et à sa Résurrection, il faut se résigner à ne les chercher que dans les documents chrétiens. Ces documents constituent notre seule et unique source. Pouvons-nous nous y fier ?
Faire la liste de tous les historiens, philosophes et théoriciens qui estiment que Jésus est un personnage mythique (= qui n'a pas vraiment existé) serait un travail long et fastidieux. Mais parmi ces auteurs de différentes professions, dont bon nombre d'historiens, on peut citer vite vite comme ça, à la volée:
- Richard Simon
- Jean Astruc
- Constantin-François Volney
- Charles-François Dupuis
- Bruno Bauer
- David Strauss
- Max Müller
- James Frazer
- Abraham Dirk Loman
- Gerardus Bolland
- Edwin Johnson
- Albert Kalthoff
- Arthur Drews
- John M. Robertson
- Salomon Reinach
- Paul-Louis Couchoud
- Prosper Alfaric
- Michel Onfray
- Arthur Heulhard
- Bertrand Russell
- Bernard Dubourg
- Moutier-Rousset
- Georges Las Vergnas
- Guy Fau
- Georges Ory
- Paul-Éric Blanrue
- Édouard Dujardin
- George Albert Wells
- Earl Doherty
- Tom Harpur
- Timothy Freke
- Peter Gandy
- Brian Flemming
- Alvar Ellegård
- Luigi Cascioli
On semble bien loin du soi-disant consensus évoqué par Calimero.
