Il n'y a pas eu de manque de politesse. Mais absolument aucun. Cette accusation facile n'est qu'un prétexte utilisé par certains pour escamoter les questions sérieuses que Khadir avait mises sur le tapis, et ce, au prix d'un travail remarquable, soit dit en passant.
Et pour bien comprendre les petits malaises que suscitent les questions de Khadir à l'endroit de Bouchard, rappelons-nous seulement l'affaire Michaud. Ça pourrait aider à comprendre bien des choses.
Rappelons que l'affaire Michaud avait débuté par une conversation chez le coiffeur. Conversation rapportée par Michaud sur les ondes de la station de radio CKAC, à Montréal, le 5 décembre 2000. À cette époque, Yves Michaud avait manifesté son intention de se présenter comme candidat du Parti québécois dans la circonscription de Mercier. Lors de cette entrevue à Paul Arcand le 5 décembre 2000, Michaud raconte:
Bien, je vais vous raconter une anecdote. J'étais... je suis allé chez mon coiffeur il y a à peu près un mois. Il y avait un sénateur libéral que je ne nommerai pas qui ne parle pas... encore qu'il représente une circonscription de langue française et qui me demande: es-tu toujours séparatiste, Yves?" J'ai dit oui, oui je suis séparatiste comme tu es juif. Ça a pris à ton peuple 2000 ans pour avoir sa patrie en Israël. J'ai dit: moi, que ça prenne 10 ans, 50 ans, 100 ans de plus ça peut attendre. Alors il me dit: ce n'est pas pareil. Ce n'est jamais pareil pour eux. Alors j'ai dit: ce n'est pas pareil? Les Arméniens n'ont pas souffert, les Palestiniens ne souffrent pas, les Rwandais ne souffrent pas. J'ai dit: c'est toujours vous autres. Vous êtes le seul peuple au monde qui avez souffert dans l'histoire de l'humanité.
Un peu plus d'une semaine plus tard, Michaud, lors d'une allocution publique, s'adressait aux Québécois en ces termes:
Mes propres concitoyens devraient suivre l’exemple de ce que le chanoine Groulx disait à propos du peuple juif. Le chanoine Groulx disait et nous invitait, et je le cite, "à posséder, comme les Juifs, leur âpre volonté de survivance, leur invincible esprit de solidarité, leur impérissable armature morale". Et l’historien donnait alors l’exemple du peuple juif comme modèle à suivre pour que les Québécois affirment leur propre identité nationale et assument, et assument pleinement, l’héritage de leur histoire, ajoutant que l’anti-sémitisme était "une attitude anti-chrétienne et que les Chrétiens sont, en un sens, spirituellement des Sémites".
Évidemment, on pouvait parfaitement être en accord ou en désaccord avec ces propos, et permettre d'ouvrir un débat intéressant sur la question, mais Bouchard avait plutôt fustigé Michaud, le traitant outrageusement d'antisémite et imposant à ce dernier une motion de blâme à l'Assemblée Nationale. Une des pires infamie à s'etre déroulée en territoire québécois.
Bien évidemment, en agissant de la sorte, Bouchard montrait ses vraies couleurs et devenait un homme marqué. L'injustice flagrante et honteuse portée contre un Québécois, par ce soi-disant fervent défenseur des Québécois, devenait de plus en plus gênante et devait conduire, plus tard, à la démission de Bouchard de la politique.
Bien que cette motion de blâme fut adoptée à l'unanimité, les malaises étaient évidents, et la grogne aussi, et il y eut de nombreuses frictions au sein du Parti Québécois. En décembre 2010, sur une initiative de Paul Bégin, 19 députés cosignent et envoient une lettre à Michaud, présentant des "excuses les plus sincères pour les souffrances morales qu'il a dû injustement vivre suite à l'adoption de cette motion". Cette lettre porte à 25 le nombre de députés ayant dit regretter le geste, dont notamment Louise Beaudoin, André Boisclair, Bernard Landry, Joseph Facal et Pauline Marois, bien que cette dernière ne se soit pas excusée. Et en janvier 2011, un total de 51 députés péquistes ont exprimé leurs regrets ou excuses concernant l'Affaire Michaud.
À l'instar de nos cousins français, nous aussi nous avons nos squelettes que nous voulons bien garder dans les placards. Depuis son retrait de la politique, Bouchard ne cesse de décevoir, y allant de commentaires particulièrement durs et dégradants à l'égard des Québécois, et se rangeant du côté du patronat et des grandes corporations étrangères. Toutes ces petites subtilités sont bien évidemment connues de tous dans notre beau monde politique québécois, et en particulier de Khadir, et je soupçonne que quand celui-ci s'est adressé à Bouchard, connaissant déjà la verve de Khadir, les autres ont tout de suite levé les boucliers afin de faire taire le député.
Rappelons que Bouchard était, avant de devenir chef du Parti Québécois, un politicien fédéraliste au sein du cabinet Mulroney. À cette époque, il s'était attiré l'admiration de bien des Québécois pour son franc-parler et ses bravades. Mais son discours était loin d'être celui d'un René Lévesque, et son investiture à la tête du parti Québécois a toujours paru suspecte aux yeux de plusieurs membres du parti, ainsi qu'aux yeux de plusieurs observateurs de la scène politique.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que l'histoire allait donner raison à ces doutes. Peu à peu, à cause de son attitude arrogante et ses prises de position pour le moins étonnantes, Bouchard a perdu ses appuis et le respect d'une bonne partie de la population. Mais il lui reste toujours ses richissimes petits copains...