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Kant : entre Liberté et Bien inconditionné

Publié : mar. févr. 08, 2011 9:33 am
par Jack Jack
Prémisse : Fondation de la métaphysique des moeurs s'ouvre à peu près en ces mots : Il n'existe pas, dans ce monde ou ailleurs, quoi que ce soit qui puisse être considéré comme inconditionnellement bon, si ce n'est une volonté bonne.

Il faut ici entendre volonté au sens fort : ce doit être une volonté arbitraire, entièrement libre, sujette uniquement aux règles raisonnables qu'elle se donne elle-même.

C'est dire qu'il ne peut y avoir de bien que dans l'œuvre d'un agent - un être capable de volonté. Et qu'il ne peut y avoir de bien que si l'agent possède effectivement une volonté libre. Et le bien, s'il existe, réside dans sa volonté.

Par exemple, prenons un robot. Les actions d'un robot ne sont ni bonnes ni mauvaises, pas plus que les actions d'un marteau, d'une épée ou d'une plume. Ce ne sont que des outils avec lesquels un agent peut exercer sa volonté. Un robot n'est qu'un outil plus perfectionné qu'un autre.

Supposons maintenant un être fait de chair et de sang, en tout point identique aux être humains, à l'exception qu'il n'est pas libre et agit toujours sous la contrainte. Dans ce cas, bien qu'il soit fait de chair et de sang, qu'il vive, qu'il souffre et meure, son œuvre, et par extension, sa vie, n'a, en elle-même, aucune valeur, peu importe ce qu'il peut avoir fait par ailleurs : il n'est qu'un outil.

Supposons maintenant un agent libre. Un agent possédant une volonté bonne. Supposons aussi que, par une contingence funeste du destin et l'avare providence d'une Nature parcimonieuse en ce qui a trait aux moyens, l'agent n'arriverait à rien. Et bien quand bien même qu'il n'arriverait à rien, sa volonté bonne serait bonne en elle-même, sans que la futilité ou la fécondité vienne ajouter ou retirer quoi que ce soit à la valeur de ses efforts. Celui qui utilise toutes ses ressources et toutes ses capacités pour faire le bien, peu importe l'étendue de ses ressources et des ses moyens et de leur fécondité par ailleurs, celui-là est une bonne personne, absolument, sans restriction et sans conditions.

Conclusion : Kant : Tout bien est conditionnel à la liberté. L'intelligence, la fortune, le contentement complet de son état - ce qui est le bonheur - sont des biens à la condition qu'ils résultent d'une volonté bonne.

Moi : La liberté, l'autonomie, c'est-à-dire la capacité de se donner à soi-même des règles de vie, est la valeur la plus importante et la plus fondamentale, celle d'après laquelle découle toutes les autres valeurs. La liberté d'un individu ne devrait jamais être limitée, sauf dans les cas où une telle réduction résulterait en une plus grande liberté pour au moins un autre. La seule limite acceptable à la liberté, c'est la liberté elle-même.

Comme le dit Kant, les autres biens sont tous conditionnels à la liberté. C'est ainsi qu'il faut comprendre la phrase de Franklin : La sécurité n'a de valeur que si elle existe dans un cadre de liberté, sacrifier un peu de liberté, et la valeur de la sécurité diminue d'autant que la quantité de sécurité augmente. Ainsi, si on sacrifie la liberté, on ne "mérite" pas la sécurité, car ni nous ni la sécurité ne conserve de valeur.

La conservation de notre langue, elle n'a de valeur que si on la conserve librement. Si c'est la contrainte qui nous fait conserver notre langue et notre identité, cette conservation n'a plus de valeur.

La santé, encore, une fois, elle n'a de valeur qu'entre les mains des agents libres. Celui qui est en santé uniquement parce qu'on l'empêche de s'empiffrer de Big Macs/ de se shooter de l'héroïne, la santé de celui-là n'a aucune valeur et ne vaut certainement pas la peine qu'on se donne à la préserver.

Re: Kant : entre Liberté et Bien inconditionné

Publié : mar. févr. 15, 2011 9:40 pm
par xoxtamxox
Je n'avais jamais étudié Kant; merci de cette petite introduction à son oeuvre. Je dois avouer être surprise de la facilité avec laquelle j'ai tout compris. Soit il ne s'agit pas d'un de ces philosophes nébuleux que l'on doit relire vingt fois sous vingt angles différents, soit tu as un bon talent d'analyste et de vulgarisateur. Dans ce cas, bravo.

Je suis tout à fait d'accord avec ce lien qui est fait entre bien et liberté, par contre je ne pense pas que la volonté suffise à définir le bien. Selon moi, on a besoin de plus, sans que je sache nommer quoi.

Illustrons une situation comme un exemple, dans laquelle on aurait trois individus. L'individu A est battu par B, alors C, pour venger A, bat B.
Ici, C voulait bien faire en venger A. Par contre, du point de vue de B, c'est loin de s'être bien passé...

Ce que je veux dire, c'est que dès lors que l'on attend l'intention pour définir le bien, celui-ci doit être redéfini continuellement selon les yeux de qui voit.

Un bien inconditionné est-il réellement possible? Même sur le papier, il est soumis à certaines conditions, après tout, à saovir l'interprétation des différents lecteurs.

Vous voyez où je veux en venir?

Re: Kant : entre Liberté et Bien inconditionné

Publié : mar. févr. 15, 2011 11:01 pm
par Jack Jack
Une excellente question.

Pour Kant, le Bien inconditionné est universel.

Une volonté bonne est une volonté qui s'impose d'elle-même comme bonne pour tout être raisonnable, humain ou extra-terrestre.

Pour Kant, le Bien n'est surtout pas défini selon celui qui voit, le Bien est Bien en soi, et les êtres raisonnables sont tous capable de reconnaître, objectivement, le bien quand il le rencontre.

Maintenant, pour ce qui est de ton exemple, Kant dit qu'une volonté bonne est la volonté d'obéir à l'impératif catégorique. Ça, c'est la loi morale reconnue par tous les êtres raisonnables.

Kant en propose trois formulations qui, selon lui, reviennent au même :

- Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature ( Fondation de la métaphysique des Moeurs, p. 98).

- Agis de façon telle que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme fin, jamais simplement comme moyen ( Fondation de la métaphysique des Moeurs, p. 108).

- N'accompl[is] nulle action d'après une autre maxime que celle [...] qui serait [...] simplement telle que [t]a volonté puisse se considérer elle-même en même temps comme légiférant universellement grâce à [t]a maxime ( Fondation de la métaphysique des Moeurs, p. 115).

Donc, supposons C qui veut venger A. Il se demande, 1 ) Puis-je vouloir que, à chaque fois que quelqu'un portera préjudice à un autrui, autrui fut vengé.

On se rend compte, ici, que la vengeance implique un préjudice, et donc, celui qui venge autrui devrait, selon cette maxime, s'attendre à ce qu'on se venge ensuite sur lui. On ne peut donc pas vouloir, au moment où l'on veut se venger, que la vengeance devienne en même temps une loi universelle de la Nature.

Encore, avec la deuxième formulation : cette fois, on se rend compte, qu'en portant préjudice à B, C traite B comme un simple moyen vers sa fin, qui est la vengeance, sans égard aux but que B peut poursuivre pour lui-même.

Enfin, avec la troisième formulation, lorsque je veux me venger, je veux que je sois le seul à avoir le droit de me venger, sans reconnaître ce droit aux autres. Vouloir quelque chose pour moi seul, sans reconnaître aux autres la légitimité de vouloir la même chose, ce n'est pas légiférer de façon universelle.

Pire encore : lorsque je veux me venger, je sais pertinemment que la vengeance est immorale; je ne veux pas faire de la vengeance une loi universelle, je veux au contraire faire une exception, juste pour moi, juste pour cette fois. Faire une exception de la sorte, alors que nous sommes très au fait de la loi morale, c'est ça le mal radical selon Kant.