Les personnes qui vivent saoul ou droguées

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InspecteurSpecteur
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Re: Les personnes qui vivent saoul ou droguées

#91 Message par InspecteurSpecteur »

AnneB. a écrit :Si j'avais pu être Juliette D....
Quelle remarque intéressante. Une amie à toi?
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George Clémenceau
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saintluc
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Re: Les personnes qui vivent saoul ou droguées

#92 Message par saintluc »

Vous avez oublié EDGAR POE





Gaiement accoutré, un galant chevalier, au soleil et par les ténèbres, avait longtemps voyagé, chantant une chanson, à la recherche de l’Eldorado.



Mais il se fit vieux, ce chevalier si hardi, et sur son cœur tomba une ombre, comme il ne trouvait aucun endroit de la terre qui ressemblât à l’Eldorado



Et, quand sa force défaillit à la longue, il rencontra une ombre pèlerine. — « Ombre, dit-il, où peut être cette terre d’Eldorado ? »



— « Par-delà les montagnes de la lune, et au fond de la vallée de l’ombre, chevauche hardiment, répondit l’ombre, — si tu cherches l’Eldorado. »









Une fois, par un minuit lugubre, tandis que je m’appesantissais, faible et fatigué, sur maint curieux et bizarre volume de savoir oublié, — tandis que je dodelinais la tête, somnolant presque, soudain se fit un heurt, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre, — cela seul et rien de plus.



Ah ! distinctement je me souviens que c’était en le glacial Décembre : et chaque tison, mourant isolé, ouvrageait son spectre sur le sol. Ardemment je souhaitais le jour ; — vainement j’avais cherché d’emprunter à mes livres un sursis au chagrin — au chagrin de la Lénore perdue — de la rare et rayonnante jeune fille que les anges nomment Lénore, — de nom ! pour elle ici, non, jamais plus !



Et de la soie l’incertain et triste bruissement en chaque rideau purpural me traversait — m’emplissait de fantastiques terreurs pas senties encore : si bien que, pour calmer le battement de mon cœur, je demeurais maintenant à répéter : « C’est quelque visiteur qui sollicite l’entrée, à la porte de ma chambre — quelque visiteur qui sollicite l’entrée, à la porte de ma chambre ; c’est cela et rien de plus. »



Mon âme se fit subitement plus forte et, n’hésitant davantage : « Monsieur, dis-je, ou madame, j’implore véritablement votre pardon ; mais le fait est que je somnolais, et vous vîntes si doucement frapper, et si faiblement vous vîntes heurter, heurter à la porte de ma chambre, que j’étais à peine sûr de vous avoir entendu. » — Ici j’ouvris grande la porte : les ténèbres et rien de plus.



Loin dans l’ombre regardant, je me tins longtemps à douter, m’étonner et craindre, à rêver des rêves qu’aucun mortel n’avait osé rêver encore ; mais le silence ne se rompit point et la quiétude ne donna de signe : et le seul mot qui se dit, fut le mot chuchoté « Lénore ! » Je le chuchotai — et un écho murmura de retour le mot « Lénore ! » purement cela et rien de plus.



Rentrant dans la chambre, toute mon âme en feu, j’entendis bientôt un heurt en quelque sorte plus fort qu’auparavant. « Sûrement, dis-je, sûrement c’est quelque chose à la persienne de ma fenêtre. Voyons donc ce qu’il y a et explorons ce mystère ; — que mon cœur se calme un moment et explore ce mystère : c’est le vent et rien de plus. »



Au large je poussai le volet, quand, avec maints enjouement et agitation d’ailes, entra un majestueux corbeau des saints jours de jadis. Il ne fit pas la moindre révérence, il ne s’arrêta ni n’hésita un instant : mais, avec une mine de lord ou de lady, se percha au-dessus de la porte de ma chambre, — se percha sur un buste de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre — se percha, siégea et rien de plus.



Alors cet oiseau d’ébène induisant ma triste imagination au sourire, par le grave et sévère décorum de la contenance qu’il eut : « Quoique ta crête soit chenue et rase, non ! dis-je, tu n’es pas pour sûr, un poltron, spectral, lugubre et ancien Corbeau, errant loin du rivage de Nuit — dis-moi quel est ton nom seigneurial au rivage plutonien de Nuit. » Le Corbeau dit : « Jamais plus. »



Je m’émerveillai fort d’entendre ce disgracieux volatile s’énoncer aussi clairement, quoique sa réponse n’eût que peu de sens et peu d’à-propos ; car on ne peut s’empêcher de convenir que nul homme vivant n’eut encore l’heur de voir un oiseau au-dessus de la porte de sa chambre, — un oiseau ou toute autre bête sur le buste sculpté, au-dessus de la porte de sa chambre, — avec un nom tel que : « Jamais plus. »



Mais le Corbeau perché solitairement sur ce buste placide, parla ce seul mot comme si son âme, en ce seul mot, il la répandait. Je ne proférai donc rien de plus ; il n’agita donc pas de plume, — jusqu’à ce que je fis à peine davantage que marmotter : « D’autres amis déjà ont pris leur vol, — demain il me laissera comme mes espérances déjà ont pris leur vol. » Alors l’oiseau dit : « Jamais plus. »



Tressaillant au calme rompu par une réplique si bien parlée : « Sans doute, dis-je, ce qu’il profère est tout son fonds et son bagage, pris à quelque malheureux maître que l’impitoyable Désastre suivit de près et de très près suivit jusqu’à ce que ses chansons comportassent un unique refrain ; jusqu’à ce que les chants funèbres de son Espérance comportassent le mélancolique refrain de : « Jamais — jamais plus. »



Le Corbeau induisant toute ma triste âme encore au sourire, je roulai soudain un siège à coussins en face de l’oiseau, et du buste, et de la porte ; et m’enfonçant dans le velours, je me pris à enchaîner songerie à songerie, pensant à ce que cet augural oiseau de jadis, — à ce que ce sombre, disgracieux, sinistre, maigre et augural oiseau de jadis signifiait en croassant : « Jamais plus. »



Cela, je m’assis occupé à le conjecturer, mais n’adressant pas une syllabe à l’oiseau dont les yeux de feu brûlaient, maintenant, au fond de mon sein ; cela et plus encore, je m’assis pour le deviner, ma tête reposant à l’aise sur la housse de velours des coussins que dévorait la lumière de la lampe, housse violette de velours qu’Elle ne pressera plus, ah ! jamais plus.



L’air, me sembla-t-il, devint alors plus dense, parfumé selon un encensoir invisible balancé par les Séraphins dont le pied, dans sa chute, tintait sur l’étoffe du parquet. « Misérable ! m’écriai-je, ton Dieu t’a prêté — il t’a envoyé, par ces anges le répit — le répit et le népenthès dans ta mémoire de Lénore ! Bois ! oh ! bois ce bon népenthès et oublie cette Lénore perdue ! » Le Corbeau dit : « Jamais plus ! »



« Prophète, dis-je, être de malheur ! prophète, oui, oiseau ou démon ! Que si le Tentateur t’envoya ou la tempête t’échoua vers ces bords, désolé et encore tout indompté, vers cette déserte terre enchantée, — vers ce logis par l’horreur hanté : dis-moi véritablement, je t’implore ! y a-t-il du baume en Judée ? — Dis-moi, je t’implore. » Le Corbeau dit : « Jamais plus ! »



« Prophète, dis-je, être de malheur, prophète, oui, oiseau ou démon ! Par les cieux sur nous épars, — et le Dieu que nous adorons tous deux, — dis à cette âme de chagrin chargée si, dans le distant Éden, elle doit embrasser une jeune fille sanctifiée que les anges nomment Lénore, — embrasser une rare et rayonnante jeune fille que les anges nomment Lénore. » Le Corbeau dit : « Jamais plus ! »



« Que ce mot soit le signal de notre séparation, oiseau ou malin esprit », hurlai-je en me dressant. « Recule en la tempête et le rivage plutonien de Nuit ! Ne laisse pas une plume noire ici comme un gage du mensonge qu’a proféré ton âme. Laisse inviolé mon abandon ! quitte le buste au-dessus de ma porte ! ôte ton bec de mon cœur et jette ta forme loin de ma porte ! » Le Corbeau dit : « Jamais plus ! »



Et le Corbeau, sans voleter, siège encore, — siège encore sur le buste pallide de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre, et ses yeux ont toute la semblance des yeux d’un démon qui rêve, et la lumière de la lampe, ruisselant sur lui, projette son ombre à terre : et mon âme, de cette ombre qui gît flottante à terre, ne s’élèvera — jamais plus.
Il n'y a d'homme plus complet que celui qui a beaucoup voyagé,
qui a changé vingt fois la forme de sa pensée et de sa vie.
Alphonse de Lamartine
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Re: Les personnes qui vivent saoul ou droguées

#93 Message par orchidee »

j'adore ce topic....je vais ajouter le vieux...in vino veritas....
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InspecteurSpecteur
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Re: Les personnes qui vivent saoul ou droguées

#94 Message par InspecteurSpecteur »

Le vin de l'assassin


Ma femme est morte, je suis libre !
Je puis donc boire tout mon soûl.
Lorsque je rentrais sans un sou,
Ses cris me déchiraient la fibre.

Autant qu'un roi je suis heureux ;
L'air est pur, le ciel admirable...
Nous avions un été semblable
Lorsque j'en devins amoureux !

L'horrible soif qui me déchire
Aurait besoin pour s'assouvir
D'autant de vin qu'en peut tenir
Son tombeau ; - ce n'est pas peu dire:

Je l'ai jetée au fond d'un puits,
Et j'ai même poussé sur elle
Tous les pavés de la margelle.
- Je l'oublierai si je le puis !

Au nom des serments de tendresse,
Dont rien ne peut nous délier,
Et pour nous réconcilier
Comme au beau temps de notre ivresse,

J'implorai d'elle un rendez-vous,
Le soir, sur une route obscure.
Elle y vint ! - folle créature !
Nous sommes tous plus ou moins fous !

Elle était encore jolie,
Quoique bien fatiguée! et moi,
Je l'aimais trop ! voilà pourquoi
Je lui dis: Sors de cette vie !

Nul ne peut me comprendre.
Un seul parmi ces ivrognes stupides
Songea-t-il dans ses nuits morbides
A faire du vin un linceul ?

Cette crapule invulnérable
Comme les machines de fer
Jamais, ni l'été ni l'hiver,
N'a connu l'amour véritable,

Avec ses noirs enchantements,
Son cortège infernal d'alarmes,
Ses fioles de poison, ses larmes,
Ses bruits de chaîne et d'ossements !

- Me voilà libre et solitaire !
Je serai ce soir ivre mort ;
Alors, sans peur et sans remords,
Je me coucherai sur la terre,

Et je dormirai comme un chien!
Le chariot aux lourdes roues
Chargé de pierres et de boues,
Le wagon enragé peut bien

Écraser ma tête coupable
Ou me couper par le milieu,
Je m'en moque comme de Dieu,
Du Diable ou de la Sainte Table !

Charles Beaudelaire
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George Clémenceau
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Re: Les personnes qui vivent saoul ou droguées

#95 Message par orchidee »

..moi, je prefere le Vin des amants...vous en avez deja parle, mais j'ajoute le poem, tellement bon avant d;aller au lit :roll

Le Vin des amants

Aujourd'hui l'espace est splendide!
Sans mors, sans éperons, sans bride,
Partons à cheval sur le vin
Pour un ciel féerique et divin!

Comme deux anges que torture
Une implacable calenture
Dans le bleu cristal du matin
Suivons le mirage lointain!

Mollement balancés sur l'aile
Du tourbillon intelligent,
Dans un délire parallèle,

Ma soeur, côte à côte nageant,
Nous fuirons sans repos ni trêves
Vers le paradis de mes rêves!

— Charles Baudelaire
la douceur est la plenitude de la force-Alphonse Gratry

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Harry Tuttle
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Re: Les personnes qui vivent saoul ou droguées

#96 Message par Harry Tuttle »

AnneB. a écrit :
Harry Tuttle a écrit :Jamais aimé Appolinaire. Et encore moins Rimbaud. Le seul poète de langue française que j'ai trouvé le moindrement comparable à Baudelaire, c'est Victo Hugo, dans un tout autre registre.

Je lis actuellement Les châtiments, et je dois avouer que c'est merveilleusement bien écrit et que la penseé y est également de haut niveau.
Pour Apollinaire, (1P, 2L): bof aussi. Ça me parle peu. Rimbaud, pareil: ça passe avec la fin de l'adolescence.
Hugo! Ah, Hugo... (me faut un bâillon, là, si je commence, je ne m'arrête plus...) Si j'avais pu être Juliette D....
N'es-tu pas justement la Juliette avec qui j'échangeais à propos de Victor Hugo et de Baudelaire, AnneB?

Mon flair me dit que oui, car elle aussi parlait de Baudelaire comme de quelque chose lié à son adolescence.
Comme les anges à l'œil fauve
Je reviendrai dans ton alcôve
Et vers toi glisserai sans bruit
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Re: Les personnes qui vivent saoul ou droguées

#97 Message par AnneB. »

Bonsoir,
Si j'avais pu être Juliette D...
Quelle remarque intéressante. Une amie à toi?
Juliette D. comme Drouet? Je ne l'ai jamais connue. Qui d'autre que Totor pour la connaître, lui qui lui demandait de vivre recluse en l'attendant, la nuit? Elle lui abandonnait toute se dévotion. Il lui fallut être tenace pour vivre de l'ombre. Il n'y avait que la lueur de quelques chandelles pour lui rappeler, au crépuscule, les raisons de son renoncement. Il n'y a qu'un génie pour savoir garder une pareille femme dans une telle attente.
N'es-tu pas justement la Juliette avec qui j'échangeais à propos de Victor Hugo et de Baudelaire, AnneB?

Mon flair me dit que oui, car elle aussi parlait de Baudelaire comme de quelque chose lié à son adolescence.
Cette Juliette-là, je la fréquente davantage puisque je partage son lit et toujours sa tête. Je ne m'en suis jamais cachée, du reste. J'ai perdu mes identifiants dans les limbes de mes souvenirs, mais l'identité coïncide, oui.
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Harry Tuttle
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Re: Les personnes qui vivent saoul ou droguées

#98 Message par Harry Tuttle »

AnneB. a écrit :
N'es-tu pas justement la Juliette avec qui j'échangeais à propos de Victor Hugo et de Baudelaire, AnneB?

Mon flair me dit que oui, car elle aussi parlait de Baudelaire comme de quelque chose lié à son adolescence.
Cette Juliette-là, je la fréquente davantage puisque je partage son lit et toujours sa tête. Je ne m'en suis jamais cachée, du reste. J'ai perdu mes identifiants dans les limbes de mes souvenirs, mais l'identité coïncide, oui.
À la bonne heure!

Content que vous fréquentiez encore ce forum. C'est grâce à vous si j'ai poussé plus loin ma connaissance de Victor Hugo, et que je suis tombé sur Les châtiments.

Merci.
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